Jacqueline François




Née en 1922, dans une famille de la haute bourgeoisie (ses parents travaillent pour la brillantine Roja), la jeune Jacqueline François étudie le piano et se passionne pour le jazz et la variété. En 1945, Jacqueline François remporte un radio crochet qui lui ouvre les portes du show business : en effet, à la libération, la plupart des chanteuses en vue sont inquiétées et interdites de scène temporairement pour avoir poursuivi leurs activités pendant l’occupation : c’est une aubaine pour les nouvelles qui ont le champ libre pour s’accaparer les adaptations de chansons américaines. La voix veloutée de Jacqueline François est idéale pour susurrer « it might as well be spring/c’est le printemps » du film State fair (1945), son premier succès. Jacques Cannetti, célèbre découvreur de talents (Brel, Ferré, les frères Jacques, F Leclerc…) mise gros sur elle.



Charles Trenet
déclare que " La rencontre de Jacqueline François et du microphone est une date dans l'histoire du disque, ils étaient fait l'un pour l'autre comme deux amants qui se cherchaient et de cette rencontre, de ces amants, naissent les plus jolies phrases qui aient jamais caressé une chanson."




Comment mieux qualifier la mélodieuse voix de Jacqueline après de telles louanges?
En 1948, elle est la première chanteuse à enregistrer avec une très grande formation (l’orchestre de Paul Durand et 40 musiciens ) : un triomphe puisque le titre Mlle de paris (qui raconte les peines de cœur d’une cousette) remportera un succès mondial (aux USA par Patti Page, notamment). Elle l’interprète dans le film Scandale aux Champs Elysées, un mélo situé dans le monde de la haute couture.



Durant toutes les années 50, Jacqueline François va aligner les tubes à une cadence remarquable (trois fois merci, escale à Victoria, la marie vison, on ne sait jamais, la version française de lullaby of birdland, …) : elle sera la première artiste française à vendre plus d’un million de disque (les lavandières du Portugal) . Difficile performance à une époque où tous les français n’étaient pas équipés pour écouter de la musique et où beaucoup préféraient les partitions. Des chansonnettes parfois faciles mais si mélodieusement servies et si bien arrangées par un Michel Legrand débutant (superbe version de la valse des lilas, Jésus pardonne à mes péchés).
Pour mesurer la gloire de la chanteuse, il suffit de constater les pressages internationaux de ses 33 tours, ou de voir qu’elle fit même l’objet d’une figurine distribuée en cadeau dans les cafés Mokalux comme Martine Carol, Piaf, Montand et Line Renaud.



La star de la firme Polydor paraît occasionnellement en guest star dans des films musicaux comme Boum sur Paris (avec Piaf) ou dans des courts métrages.
En 1955, Jacqueline obtient enfin un rôle principal dans une comédie romantique appelée comme par hasard Mlle de Paris, où elle joue son propre rôle et chante des 2 plus grand succès : Mlle de Paris et les lavandières du Portugal. Un divertissement des plus conventionnels mais pas désagréable, mais tout à fait exportable. La chanteuse avouera par la suite que le cinéma ne la tentait nullement mais que le producteur l'avait menacée de confier le film et sa chanson fétiche à une concurrente, et que Jacqueline aurait ainsi fini par accepter le rôle.
Sur la longue liste de ses chansons, on trouve quelques chansons de films comme Que sera sera, (de l’homme qui en savait trop) dont elle fera le succès en France, chiens perdus sans collier, les mains du vent (la vache et le prisonnier), mon oncle, la marche des anges (un taxi pour Tobrouk), j’aurais voulu danser (my fair lady)…et beaucoup d’airs composés par Charles Aznavour, ami de la première heure.



Dans les années 50, la chanteuse s’exporte également avec succès (12 33T sortiront aux USA, fait très rare pour l’époque) : elle chante au Ed Sullivan show et dans les cabarets new-yorkais, enregistre en anglais (taking a chance of love tiré d’un petit coin aux cieux). On la retrouve dans un film mexicain avec d’autres stars internationales comme Yma Sumac ou Lola Beltran.
Comme tous les autres chanteurs traditionnels, la carrière de Jacqueline François va subir de plein fouet la vague yéyé. Cela dit son immense popularité, et le soutien de son producteur et compagnon , l’ex guitariste Jean-Jacques Tilché (qui lancera Claude François qui lors de son enfance faisait croire à ses proches qu'il avait un lien de parenté avec la fameuse Jacqueline) va lui permettre de résister quelques années de plus à la déferlante. C’est là qu’elle grave ses plus beaux disques : la VF de la fille d’Ipanema (accompagnée par Baden Powell) : une réussite et à mes yeux la meilleure version de par le monde de ce standard, la VF de too close for comfort (là aussi, un résultat splendide).



Puis, Jacqueline François va lentement disparaître des médias, hormis quelques furtifs passages à la télé : je me souviens très bien de ses apparitions très distinguées dans certaines émissions de Guy Lux, ou plus récemment de la chance aux chansons où Pascal Sevran la raillait car elle obligeait toute l’équipe à éteindre ses cigarettes.
Son souci de perfection, ses exigences lui vaudront une réputation de mauvais caractère qui ne l’ont probablement pas aidée dans le milieu artistique. Elle a gravé son dernier 45T en 1984.
Le silence radio quasi total autour du décès d’une chanteuse qui fut si populaire pendant plus de 20 ans montre à quel point la gloire est éphémère et fragile et les mémoires courtes. Dommage car Mlle de paris chantait 100 fois mieux que Mlle from Armentières (Line Renaud).



Aujourd'hui Jacqueline François n'est plus, elle nous a quitté le 7 mars 2009 à l’âge de 87 ans, dans une discrétion absolue. C’est plutôt triste de constater à quel point cette information n’a pas été relayée par les médias, à part Le Monde avec une bonne semaine de retard. Et pourtant avec des titres comme Mlle de paris (1948), trois fois merci (1949), les lavandières du Portugal (1955) et la version française de lullaby of birdland, cette chanteuse de charme très distinguée au nez retroussé, avait acquis une immense popularité. Sans doute cette artiste n’avait pas su ni voulu comme certaines soigner ses relations avec le monde artistique et politique, et prendre tous les virages pour être toujours sur la brèche. Eh bien parmi les artistes de talent qui disparaissent en léguant un héritage à notre patrimoine culturel, elle fera partie de ceux que nous n'oublierons pas.

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